ACTE I

Acte I « Le malade imaginaire »

 

Le décor du premier acte de la  scène I de « Galéjade Imaginus » se situe sous la scène de la première représentation du « malade imaginaire » de Molière. Un espace a été aménagé pour le souffleur (cf. Détail Acte II) ainsi qu’un  espace pour le rapiéçage des costumes et leurs rangements. Molière est seul  très tendu avant la première représentation. On entend la voix des machinistes s’affairant aux derniers préparatifs. Bérénice arrivant, il se confie à elle.

Acte I , Scène I  10 février 1673

 

(MOLIÈRE, BéRéNICE, machiniste)

 

                                   (On n’entend les voix des machinistes dans le lointain)

Machiniste_          Regardez où vous marchez…attention… chandelle

Un autre_              Ecartez-vous de la rampe mademoiselle 

Un autre_              Attention ma jambe…

Un autre_                                                 …Regardez-le, il court !

Un autre_              Pose cela  côté jardin….non côté cour

Un autre_              Allez, soulevez …Décrochez le pendrillon [1]


                                   Pour la première je ne veux pas de haillons

Un autre_              Mais où se trouvent donc les rideaux d’avant-scène ?

un autre_              Ne voyez-vous donc pas une chose qui gêne ?

                                   La draperie couleur rouge…

 

BéRéNICE_               (Entre. Porte une robe très ample)  Il y a quelqu’un ?

 

                                   (On n’entend une dernière voix dans le lointain)

Machiniste_           Je vous le redis, c’est le manteau d’arlequin ! [2]


 

                                   (On continue d’entendre les voix des machinistes mais elles

                                   ne sont plus audibles)

 

BéRéNICE_               (Voyant Molière) Ah ! Monsieur Molière !

                                   (Voyant qu’il reste immobile)                        Que faites-vous au juste ?

                         

MOLIÈRE_                 Je me repose (il se tient la poitrine fermement avec ses bras)

BéRéNICE_                                      Bien !

MOLIÈRE_                 (Se tenant la poitrine)                        Trouvez-vous ça injuste ?

 

BéRéNICE_               Non ! Pourquoi ?

 

                                   (Molière commence à évoquer sa fluxion à voix basse mais très vite

                                   il se reprend)

 

MOLIÈRE_                                        C’est ma fluxion[3] …. à la réflexion,


                                   Oui ! Je me repose……de nombreuses questions.

                                   Le théâtre n’est-il que jeux de pacotilles 

                                   Où nos rires ne sont que pauvres escarbilles 

                                   Devant les silences mondains, les dos voûtés,

                                   Les fiers… Les « Racine » ? …Moi …j’ai ma dignité!


BéRéNICE_               Allons! Ce Racine[4] n’est pas si haïssable


                                   Puisqu’il choisit mon nom pour une de ses fables ?

 

MOLIÈRE_                 (Se tient la poitrine, la douleur le faisant basculer vers l’avant, pour ne                                       rien laisser paraître il « singe » une révérence)

                                   Alors faudrait-il comme Lully[5] courbetter ?


 

BéRéNICE_               Je le crois !

 

MOLIÈRE_                 (Se relevant doucement) s’ébrouer, glorifier,  s’agiter

                                   Devant monsieur Louis …Versailles !

 

BERENICE_               (Moqueuse)                                        Quelle audace !

 

MOLIÈRE_                 Pour jouer notre ballet comme une radasse. [6]


                       

BERENICE_               Mais qu’importe aujourd’hui si l’on vous assassine !

                                   Oublier ce Lully, oublier ce Racine.

 

MOLIÈRE_                 (Molière se relevant promptement)

                                   Il est vrai ! Jouons tant qu'elle nous appartient !

 

BéRéNICE_               Auriez-vous peur ?

 

MOLIÈRE_                                                    Le doute à la vie me retient.                            

 

BÉRÉNICE_               (Encore moqueuse)

                                   Vous évoquiez le jeu.

MOLIÈRE_                                                            Librement, qu'il s'exprime !

 

BÉRÉNICE_               (Même jeu)

                                   Alors pourquoi douter de l’une de vos rimes ?

 

MOLIÈRE_                 (Souriant) Ma chère conseillère, il est des éléments

                                   Que votre âge méprise... Et bien heureusement !

 

BÉRÉNICE_               Ah ! Ce petit sourire efface votre peine

                                   Exhibant votre envie d'apparaître sur scène.

 

                                   (Molière jette un coup d'oeil vers le public fictif à travers le trou du souffleur)

 

                                    N'ayez pas de crainte, la pièce se jouera !

 

MOLIÈRE_                 (Redescendant) C'est prévu.

 

BÉRÉNICE_               (Enthousiaste)                  Le public rira, applaudira !

 

MOLIÈRE_                 Ce soir peut-être mais dès demain, à l'aurore,

                                   Venin conservateur, déjà nous déshonore.      

                                   Mais où donc ai-je failli cette fois ? Temps ? Lieu ?

                                    Personnages ? Bérénice, aidez-moi !   

 

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[1] Pendrillon :

Rideau de faible largeur (2 à 6 mètres), souvent en velours noir, pour cacher les coulisses. Le bas est lesté par une chaîne pour le tendre et on le charge de 1 à 2 centimètres pour l’"asseoir" ou de plus pour le "mettre à genoux" afin d’assurer la continuité avec le plancher et d’empêcher la vue de la lumière derrière.

 

[2] Manteau d’Arlequin :

 

Encadrement en draperie traditionnellement rouge ou noire légèrement en retrait du cadre et du rideau de scène, installé de manière permanente, permettant de modifier l'ouverture et la hauteur de la scène. La partie la partie haute mobile s’appelle le lambrequin.

 

[3] Fluxion :

FLUXION. s.f. Écoulement d'humeurs malignes sur quelque partie du corps. Fluxion froide. Fluxion chaude. Fluxion âcre. Avoir une grande fluxion sur le visage, sur la poitrine, sur le poumon. Mal dont Molière était atteint il en mourra par manque de soin après la quatrième représentation du malade imaginaire sa dernière pièce.

 

[4] Jean Racine :

 

Illustre représentant de la tragédie classique, Jean Racine est considéré, avec Molière et Pierre Corneille, comme l'un des plus grands dramaturges français. Orphelin dès son plus jeune âge, l'enfant est recueilli par ses grands-parents puis sa marraine, religieuse au couvent de Port-Royal. Il y reçoit une très bonne formation intellectuelle, faisant de lui l'un des rares écrivains de son temps à pouvoir lire dans leur langue les tragiques grecs, sa principale source d'inspiration. C'est grâce à Molière, alors directeur du théâtre du Palais-Royal que sa première pièce 'La Thébaïde ou les frères ennemis' est montée à Paris. A 27 ans, l'auteur triomphe avec 'Andromaque', un modèle de rigueur classique et de poésie tragique bientôt égalé par 'Phèdre' en 1677. Successeur et surtout rival de Corneille, Racine s'attaque aux sujets romains qui font la renommée du maître : 'Britannicus' en 1669 et 'Bérénice' en 1670 consacrent le nouveau favori des scènes parisiennes. A la demande de Madame de Maintenon, Racine écrit une pièce à sujet biblique, 'Esther', représentée avec succès devant la cour du roi Louis XIV. Janséniste, auteur d'un 'Abrégé de l'histoire de Port-Royal', ses affinités spirituelles lui attirent quelques disgrâces et certaines de ses tragédies comme 'Athalie' ne sont pas présentées au public. Le roi continue malgré tout de le soutenir. Désigné historiographe officiel du souverain, le poète est nommé 'gentilhomme ordinaire de la chambre du roi', un titre honorifique prestigieux, rarement accordé au gens de lettres. Source (http://www.evene.fr/celebre/biographie/jean-racine-3.php)

 

 

[5] Jean Baptiste Lully :

Né à Florence, Giovanni Battista Lulli vint en France en 1640 à l’âge de huit ans.   Il était musicien et danseur à la Cour depuis 1652 et en 1664 il collabora pour la première fois avec Molière, sur la comédie-galante La Princesse d’Élide lors des «Plaisirs de l’Île enchantée» à Versailles.   Cette association durerait jusqu’en 1671 et la production de la tragédie-ballet, Psyché. En 1672 Lully détint par un arrêt le monopole des productions opératiques en France.   Il dominait ainsi le milieu musical et établi une académie royale de musique. On le souvent considère comme fondateur de l’opéra français. http://www.site-moliere.com/ressources/lully.htm

 

[6] Radasse :

 

Le "rade" désigne le comptoir d'un café ou d'un bar. Au départ, la radasse est donc, elle
aussi, une prostituée, mais pas débutante. Elle serait plutôt sur le retour, assise sur un
tabouret, en train d'attendre sa clientèle en éclusant quelques consommations offertes
par la maison. Il y a chez la radasse quelque chose de très pathétique : on l'imagine
racontant sa vie, le rimmel dégoulinant.
http://www.affection.org/forum/topic.asp?topic_id=35708