ACTE III
Acte III « le fol imaginaire »
La scène représente une salle de séjour d’une unité d’hospitalisation psychiatrique. On y trouve une très grande table tout en longueur et ses chaises. La table est vue de profil à la gauche des spectateurs. Tandis qu’à droite, on voit quelques couffins, une chaise au centre et un tableau blanc (Paper Board). Un téléviseur mural accroché en hauteur fait passer un dessin animé sans aucun son. Des peintures d’enfants, tapissent le fond et la gauche. Tout à droite, une fenêtre avec des barreaux. Au fond, dans le centre, une porte d’entrée. Plusieurs malades sont assis occupés à dessiner, modeler ou construire des legos. D’autres regardent béatement la télévision, allongés sur les couffins. La plupart semblent en catatonie, dans un autre monde…. Avant que la scène ne s’éclaire, on entend deux voix qui font un sermon. A la fin du sermon, la lumière se fait et l’on voit deux hommes debout face à face qui se rassoient pour se mettre en prière imperturbablement. Un homme, avec un drap en guise de cape, gesticule devant tout le monde, vaillant malgré son âge (la soixantaine). Un infirmier surveille les malades (une dizaine). On reconnaît à une table Antonin en train de dessiner ainsi que Mlle Juvine.
Acte III, Scène I
(JESUS1&2, CYRANO, ANTONIN, Melle JUVINE, MULDER, INFIRMIER1, INFIRMIER2).
VOIX JESUS1 et 2_ Dieu de miséricorde entendez leurs souffrances.
Sainte-Marie, Mère, priez pour leurs errances.
Juge entre tes serviteurs cet appel véniel
D’hommes – Oui !- Qui ne croient ni en toi ni au ciel.
Sourds à l'oreille du seigneur, de son épreuve.
Mandant sans cesse des miracles ou des preuves
Au lieu de secourir le faible. En vérité,
Je te le dis : « la souffrance n’est qu’équité »
Dans un monde mourant en voie à la révolte
Des déments. Car ce que l'on sème, on le récolte.
" Bienheureux, celui qui percera le décret
De Dieu, dévoilera l’illusion en secret.
Sa valeur reconnue, recevra la couronne
Au firmament du ciel où le seigneur rayonne.
Quand viendra l'épreuve, ne cherche pas pourquoi,
Rends grâce, sans tristesse et sans rancune en toi.
Porte ta souffrance en l’hôtel de l’ignorance
Comme un don à Dieu, y puise sa délivrance.
La douleur confère plus de sincérité
Car Dieu instruit le cœur par de l’adversité
LUmière
CYRANO_ (Tournoyant autour des malades, puis à chaque mot interpelle
soit l’infirmier de secteur soit un malade)
Surveillance ! Méfiance ! Vaillance ! Patience !
Malveillance ! Défiance ! Inexistence ! Alliance !
Le regard du poète infléchit les notions
Car son temps est un art fait de fabulations.
Doutes, crises, phobie, tout lui est agréable
Pour construire en sueur la joute de sa fable.
On l’excuse en disant pour le trouver normal :
« Sa parodie des fous n’est qu’un acte mental ! ».
Le poète est un fou ? Cela ne veut rien dire !
Et sous le biais de l’art, il crache son délire
Comme d’autres hommes déambulent d’ennui,
Vêtus de leur fatigue, infirmes dans la nuit.
Je dis que le poète est un homme fragile
Recomposant les lieux dans son rêve d’argile,
Il est la main de Dieu dans ce monde insensé.
La vie, la mort, le cœur qu’il a ensemencé.
Melle JUVINE_ (Voix forte et plaintive)
Mais ta gueule !
CYRANO_ (Reprend) Alerte, empanaché de conscience
Il invite son âme à plus de cohérence
INFIRMIER1_ Thomas[i] ! Tu vas fermer ta bouche ! Nom de dieu !
Te surveiller, tu crois pas que c’est fastidieux ?
(Oblige très brutalement Cyrano à s’asseoir à côté d’Antonin)
CYRANO_ Immonde individu qui souffre de sa force,
Qui jouit de son costume et bombe le torse.
Je maudis ton instinct qui tape violemment
Sur la porte des saints « indélicatement ».
Touche-moi cette épaule une seconde fois
Et ma main, par mégarde, immolera sa foi
Pour combler tout le vide qui orne ta tête.
INFIRMIER1_ C’est comme ça ? Tu veux jouer le trouble-fête ?
(Il sort d’un pas décidé pour chercher son collègue)
CYRANO_ (S’adresse au surveillant comme s’il était encore là
puis seulement à Antonin)
Le dos contre les yeux chacun s’en est allé.
Même les mots courants se savent plus parler… (Pause)
ANTONIN_ (A lui-même…)
Ils ne sont que des sons sur des bouches en cuivre
Que de pauvres pensées veulent encore suivre.
CYRANO_ (L’ayant entendu)
On parle…. Et on se parle….. sans avoir réussi
Dans un monde de morts à brûler le souci.
La peur de l’étranger a détruit cette envie
De voir et partager la somme d’une vie.
Je suis ce Cyrano qui a la bouche pleine
D’émotions, de mots, de colères pour leur peine.
J’ai dit à ces humains « vous êtes bien trop bas ».
Levez-vous en esprit et ne renoncez pas.
ANTONIN_ Vous êtes Savinien De Cyrano ?
CYRANO_ Lui-même !
ANTONIN_ De Cyrano De Bergerac ?
CYRANO_ Oui, le deuxième !
[i] Thomas :
Allusion à peine déguisée à Thomas Sertillanges. Auteur d'un site Internet (cf. site http://www.cyranodebergerac.fr) Thomas Sertillanges est un passionné de Cyrano de Bergerac. Homme de théâtre et de communication, de radio, (il fut producteur de « l'Oreille en coin » sur France inter), Tintinophile (il a publié « la Vie quotidienne à Moulinsart » aux éditions Hachette). Il possède sa propre collection de pièces rares composée, notamment d'affiches et de statuettes.